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Interview de Nicolas Horvath par Wolf

Le dimanche 25 novembre 2012, le pianiste Nicolas Horvath a donné à l'église américaine de Paris un récital, afin de promouvoir son nouvel album, en première mondiale, de la version piano solo de l'Oratorio Christus faite par le compositeur lui même : Franz Liszt. Durant ce concert, l'artiste a joué plusieurs pièces classiques et contemporaines, issues de répertoires aussi variés que Liszt, Campo, Glass, mais aussi Nobuo Uematsu, compositeur historique des Final Fantasy. Signalons pour l'anecdote que Nicolas Horvath utilise du matériel de la marque Hama, pour des performances « mortelles » !

Les musiques de Final Fantasy étaient toutes tirées des récents « Piano Opera », qui sont des albums arrangés par Hiroyuki Nakayama. Le public a pu (re)découvrir :
- Eternal Wind (FFIII)
- Cristal Cave (FFIII)
- Clash on the Big Bridge (FFV)
- The Boundless Ocean (FFIII)
- Red Wings – Kingdom Baron (FFIV)
- Searching for Friends (FFVI)
- Theme of Love (FFIV)
- This is the last battle (FFIII)


Suite à cette prestation, qui fut d'une qualité époustouflante, RPG Soluce a pu rencontrer le pianiste et lui poser plusieurs questions, notamment sur son point de vue de musicien à l'égard des musiques de jeu vidéo.

Wolf : Nous sommes en compagnie du pianiste Nicolas Horvath qui a donné ce soir un concert de piano à l'église américaine de Paris. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Nicolas Horvath : En quelques mots ? ... (rires) Je suis un pianiste français, né à Monaco, j'ai gagné plusieurs concours internationaux, je donne pas mal de concerts, j'ai pas mal d'élèves et commence à donner des masterclasses (Ecole Normale l'été dernier, Collioure cet été, Turin en automne 2013 ). J'ai beaucoup joué aux Final Fantasy, notamment le VI, sur Super NES. J'aime beaucoup les jeux vidéo en général, mais je n'ai plus le temps d'y jouer à cause de ma carrière.

Wolf : Parmi les morceaux que vous avez joué, en plus des compositeurs comme Liszt, Glass ou Levaillant, il y avait plusieurs musiques de Nobuo Uematsu, notamment Red Wings – Baron Kingdom et Theme of Love en première mondiale. Vous avez prévu votre concert sur des goûts personnels, ou plus pour des raisons musicales, la complexité des œuvres par exemple ?

Nicolas Horvath : Non, surtout parce que ce sont des musiques que j'aime beaucoup. J’ai aussi la chance que certaines des pièces me soit dédiées, la profonde et lyrique Sonate n°6 de Frederick Martin, la diabolique Transe de Denis Levaillant, le vertigineux et si avantgarsite Haut-bas Fragile d’Arnaud Desvignes ou la virtuosité enjouée et folle du Glassy Feeling de Regis Campo. En fait, l'idée, c'est que c'était un récital pour la sortie de mon album (ndlr : Christus de Liszt, sortie prévue à Pâques 2013) et du coup j'avais carte blanche. Et les musiciens français, ce sont presque tous des musiciens que j'ai rencontré, j'ai parlé avec eux, sauf Frédéric Lagnau ou Jean Catoire, malheureusement ils ne sont plus de ce monde. Mais aussi, j'aime beaucoup la musique minimaliste. Madame Catoire était dans l’assistance, je ne sais pas si le frère de Frédéric Lagnau était présent (il y a deux semaines, j'ai fait un récital à Paris avec uniquement les œuvres de Lagnau et Catoire qui sont les premiers véritables compositeurs minimalistes français, et malheureusement méconnus).

Maintenant le grand avantage est que je peux choisir mon répertoire. J'essaye bien entendu de faire attention que mon choix puisse plaire le plus possible au public, et en même temps lui faire découvrir de nouveaux compositeurs, comme Lagnau et Catoire qu'on ne joue jamais, Frederick Martin et Arnaud Desvignes qui prennent de l'importance, ou Brenet qui commence à émerger( d'ailleurs, je vais sortir très bientôt un CD avec les Paris Virtuosii de Musique de Chambre de Thérèse Brenet, en première mondiale chez Naxos) . D'autres compositeurs plus connus : Philippe Hersant, Denis Levaillant, Regis Campo, Guy Sacre, Olivier Greif... Du Philip Glass que le public adore, mais pas si présent dans le répertoire.

Wolf : Et comme autres compositeurs de jeu vidéo, est-ce que vous connaissez Kenji Ito ou Keiichi Okabe ?

Nicolas Horvath : (rictus) Le problème, c'est que je n'ai pas la mémoire des noms, donc si tu ne me dis pas de quel jeu vidéo il s'agit, ça ne me dit absolument rien.

Wolf : Kenji Ito est connu pour son travail sur Sword of Mana, Children of Mana, les SaGa Frontier ...

Nicolas Horvath : SaGa Frontier, c'est bien sur Super Nintendo ?

Wolf : Non, la série a commencé sur PlayStation puis a continué un peu sur toutes les consoles.

Nicolas Horvath : Je ne connais pas du tout Kenji Ito ...

Wolf : Ah, je le recommande. Il a fait de très belles compositions, comme Rainy Tears.

Nicolas Horvath : Tu m'enverras quelques morceaux par e-mail !

Wolf : Entendu. Et Keiichi Okabe est le compositeur de NieR : Gestalt, un jeu qui a beaucoup fait parler de lui pour la beauté de sa bande-son.

Nicolas Horvath : Ah, c'est nouveau, ça, NieR ? J'ai vu qu'il y avait un album Piano Collections, je me demandais ce que ça donnait... Je ne connais pas du tout, la pochette du cd arbore une figure en fer ?

Wolf : Oui, c'est la tête de Grimoire Weiss.

Nicolas Horvath : En fait, le gros problème comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est que je n'ai pas beaucoup de temps pour jouer. Il y a pas mal de jeux que je voudrais faire, mais en fait je joue plus à des jeux auxquels on peut jouer en cinq minutes. Je sais que j'adore les jeux vidéos, vraiment, mais je ne joue pas à des jeux intéressants parce que je n'ai pas envie de les « laisser dehors », j'ai trop de travail.

Wolf : Oui, commencer une histoire intéressante si c'est pour ne jamais avoir le temps de la finir...

Nicolas Horvath : Disons que je me connais, et je sais que je ne dormirai pas pour le finir. (rires) Ça m'est arrivé pour les Final Fantasy, sauf le 8.

Wolf : (pokerface)

Nicolas Horvath : Ah, le grand débat ... Il est nul le 8, avec une histoire d'amour à l'eau de rose ... c'est tellement prévisible. Par contre, si tu veux apprendre à jouer aux Final Fantasy de manière « scientifique », un de mes élèves pourraient te donner des leçons. Il avait mis au point un système avec des matérias, c'était compliqué ! ... Tu appuyais sur un bouton et ça faisait une chaîne d'attaques pendant une heure.

Wolf : Avec les gambits du 12, je veux bien le croire, mais pour les matérias, je mettais surtout celle qui augmentaient la force ...

Nicolas Horvath : Moi, dans les jeux vidéo, je suis plus pour l'action.

Wolf : J'ai aussi beaucoup aimé la façon dont vous avez joué Clash on the Big Bridge (Final Fantasy V) et Searching for Friends (Final Fantasy VI), vous avez bien su rendre toutes les émotions qu'il y a dans ces morceaux, et le public était également très ému.

Nicolas Horvath : Ah, c'est gentil, ça me fait plaisir ! En fait, ce sont les versions Piano Opera.

Wolf : Et quelles sont les prochaines dates de concert que vous pouvez donner, en France ou ailleurs ?

Nicolas Horvath : Alors, les prochaines, il va y avoir le dimanche 9 décembre, une intégrale Philip Glass de six heures à Villeurbanne, à côté de Lyon ; le 12 et le 13 décembre les Vexations d'Erik Satie au Palais de Tokyo à Paris. Après, il va y avoir une date au mois d'avril à Rennes, où je vais jouer Liszt et Uematsu. Ce sera un concert pour venir en aide aux victimes du tsunami.
Il y aura aussi le Festival de Collioure dans le sud-est, à côté de Perpignan. Je suis directeur artistique d'une partie de ce festival. Le prestataire du piano a donné son feu vert pour mettre l'instrument sur la plage de Collioure qui est magnifique pour un concert en extérieur. Il y aura trois matinées, et j'ai proposé de faire une matinée Philip Glass, une matinée Uematsu et une matinée Hamauzu, ou sinon les trois mélangés à chaque matinée. Il y aura aussi les 24 heures du piano, les Master Class à Collioure, et pour Pâques, les créations de Franz Liszt à la cathédrale de Monaco. Pour les autres dates, il faudrait que je sorte mon agenda, mais j'ai pas mal de concerts et d'événements prévus en France pour 2013. Nous avons d'autres projets de concerts, mais je ne peux pas trop en parler à l'heure actuelle. Pour le reste, je ne me souviens plus.

Wolf : Ça fait déjà pas mal de choses...

Nicolas Horvath : Voilà, c'est déjà pas mal ! (rires)

Wolf : Et si on vous proposait un jour de faire un concert spécial « musiques de jeux vidéo », avec plusieurs compositeurs, que diriez-vous ?

Nicolas Horvath : En fait, la réponse est simple, c'est que ça ne va pas dépendre des compositeurs mais de l'arrangement. La raison pour laquelle je joue Uematsu en concert, c'est que c'est la première fois à ma connaissance, qu'on voit des musiques de jeux vidéo arrangées pour le piano qu'on peut jouer en concert sans rougir. C'est à dire qu'elles sont assez virtuoses, et qu'un public lambda, qui ne connaît absolument pas le style, n'y voit que du feu. Si on ne leur disait pas qu'il s'agit de musiques de jeux vidéo, ils pourraient croire que ça ressemble à du Mendelssohn, du Grieg, ces musiques un petit peu « brillantes », avec des touches un petit peu jazz, un petit peu de rock'n roll par-ci, par-là, dans le style « musique pour les enfants ». C'est virtuose mais pas trop, ça passe très bien. Et le problème, c'est que les Piano Collections passent très mal.

Wolf : ... Ah.

Nicolas Horvath : Disons que, on peut les faire en concert pour les fans, mais...

Wolf : Un public normal va trouver que c'est bizarre ?

Nicolas Horvath : Non, pas bizarre, mais ça ne met pas en avant ni le pianiste ni la musique. Certains lecteurs risquent de se dire « oh là là, quel prétentieux », mais le phénomène concert, je l'ai bien vu avec Erik Satie dont j'ai fait l'intégrale l'année dernière. Pour un auditeur lambda, si les musiques sont trop faciles, le concert ne lui plaît pas parce qu'il se dit « moi aussi je sais le faire, pourquoi je paie pour voir quelqu'un jouer des choses faciles ? ». C'est pour ça que l'avantage de ces arrangements Piano Opera, c'est qu'ils sont intéressants, et surtout présentables en concert, tu peux les mettre entre un Liszt et un Debussy, ça passe. C'est la raison pour laquelle je les mets dans un récital traditionnel.

Et c'est aussi pour cette raison qu'elles sont plus difficiles, si tu regardes la vidéo que j'ai mise sur YouTube pour This is the Last Battle, tu vois que le public est très content à la fin, alors qu'ils ne connaissaient pas du tout la musique de jeux vidéos.

Wolf : Ça ... Quand je vois le nombre de gens à qui on essaie d'expliquer que la musique de jeux vidéo est de la musique autant qu'une autre ...

Nicolas Horvath : En fait, tu ne peux pas leur expliquer, tu dois simplement leur démontrer. C'est un courant musical qui est un peu comme les musiques de film, c'est-à-dire qui sert à mettre en valeur une action. Il n'est pas fait à la base pour le concert. Et pour la majorité du public, une musique est une musique qui passe par le concert, c'est-à-dire que le phénomène de l'écoute est récent. On voit le même problème avec la musique électro-acoustique, j'en ai beaucoup composé moi-même, pour le public traditionnel « une musique qui se passe d'interprète n'est pas une musique valable». Il doit y avoir de l'action, quelque chose qui se passe.

Wolf : S'ils croient que c'est fait par une machine ou un robot, ça ne les intéresse pas. Les gens pensent parfois comme ça...

Nicolas Horvath : Mais en fait ça n'a rien à voir ! Et les autres arrangements qui étaient faits avant, c'était surtout commercial, et aussi pédagogique. Ils étaient fait pour que tout le monde puisse jouer, ce qui est fantastique. C'est un courant très répandu au Japon, aussi aux Etats Unis, et qu'on n'a pas en France. De part leur facilité on ne peut pas jouer les Piano Collections en concert, sauf pour les concerts d'élèves.

La vocation des Piano Collections, c'est de faire plaisir aux enfants. A l'époque où ils ont sorti les premiers Piano Collections, on était encore sur Super Nintendo, et à l'époque la musique faisait seulement « bip-bip ». C'était une autre génération. Et c'est malheureusement comme cela que le grand public voit la musique de jeux vidéos.

La musique de jeu vidéo, ça fait plus de douze ans que je l'ai incluse dans mon enseignement. C'est grâce à ces belles musiques que j'ai pu continuer à enseigner le piano à un grand nombre d'adolescents. En effet entre douze et seize ans, ces derniers aspirent à jouer des pièces complexes mettant en lumières des sentiments forts. Malheureusement, avec les emplois du temps bien trop chargés, ils n'ont pas le temps de travailler l'instrument comme il le faudrait pour jouer des pièces complexes comme du Chopin ou du Liszt. Comme tout le monde le sait, le piano et la musique en général demande beaucoup de temps de travail, contrairement au sport où il est possible de faire un match de foot sans même avoir d'entrainement.

Un autre point positif : les magnifiques arrangements fait au Japon et aux Etats Unis. Ainsi toutes les musiques « à la mode », pop ou autres, sonnent vraiment bien, malheureusement ce n'est pas le cas des arrangements qui sont faits en france. C'est une véritable catastrophe, et souvent je dois passer après pour en faire quelque chose de plus intéressant.

Maintenant, il y a une nouvelle génération de compositeurs, qui font les choses différemment. Avant on avait Uematsu, ou Koji Kondo qui a fait les Mario, les Zelda ...

Wolf : D'ailleurs, pour les Zelda, c'est simplement des accords parfaits à la suite et c'est tout ...

Nicolas Horvath : Oui, voilà ! Tu te doutes bien que pour les premières machines, il fallait être plus programmeur que musicien. A ce moment là, je pense que personne n'aurait pu imaginer le potentiel immense qu'aurait ce média émergeant. Et encore moins pour la musique. D'ailleurs cette « musique » a à peine 25 ans. Bien sûr il n'y a pas encore un compositeur qui puisse tenir tête à de grands génies tels que Chopin, Liszt ou Debussy. Ça viendra j'en suis sûr.

Wolf : Les premiers jeux vidéo de l'histoire ont été Pong ou Space Invaders en 1960, mais pour avoir des pistes qu'on peut appeler « musiques », on doit attendre 1987, oui ...

Nicolas Horvath : Et donc si la musique de jeu vidéo n'a aucune évolution dans la forme et pendant de si longues années, c'est qu'elle est à 80% calquée sur la musique de films, soit parce qu'elles ont été directement reprises, surtout pour les jeux adaptés de films, soit parce que c'est de l'ambiance qui s'apparente à de la musique de film. Parfois, les compositeurs ont des affinités avec des groupes de rock ou de rock'n’roll, comme dans la musique de Double Dragon, par exemple.

Wolf : Je n'y ai pas joué ...

Nicolas Horvath : C'est parce que tu es trop jeune, c'est pour ça.

Wolf : (rires)

Nicolas Horvath : A l'époque, j'allais dans les salles d'arcade pour y jouer. Les salles d'arcade, j'y ai passé beaucoup de temps. Ghost'n Goblins, c'était un jeu à la difficulté légendaire, j'arrivais presque à le « one-player ». J'arrivais au boss de fin en une seule vie.

Wolf : Ah, quand même ! Et en version arcade, qui est souvent plus dure que la version console ...

Nicolas Horvath : Non mais maintenant, les jeux sur consoles ...

Wolf : Ça se joue avec un doigt ...

Nicolas Horvath : Il faut bien dire que quand j'étais petit, l'arcade c'était fantastique. Tu allais dans les salles d'arcade, les jeux étaient géniaux, tu t'amusais. Il y avait aussi une différence gigantesque entre ce que tu pouvais avoir à la maison et ce que tu retrouvais en arcade ... J'ai commencé à la deuxième génération de console. La première console que j'ai eu s'appelait la Videopack, une transcription d'une autre console dont j'ai oublié le nom, Galaxy ou quelque chose comme ça (ndlr : Magnavox Odyssey² pour l’information). C'était une console où tu avais des sprites qui étaient gros comme le poing, mais qui était géniale, tu t'éclatais.

Je crois que la magie s'est perdue, toute l'étincelle que j'avais depuis la Videopack jusqu'à la PlayStation 1. Parce que la PS2, c'était beau, mais... mais voilà, quoi. Bon, la Wii, ça me plaît, parce qu'on peut y jouer rapidement, on peut dégommer des zombies. Comme je l'ai dit au début de l'interview, je ne peux plus jouer à des jeux « longs ». C'est vrai qu'au point de vue ludique, il y a beaucoup d'efforts qui sont faits. Bon, les musiques partent de plus en plus vers la pop électro, et ça m'énerve parce que je n'aime pas ce style. Attention je ne connais pas aussi tout ce qui se fait, on m'a parlé récemment d'un jeu sois disant génial, avec une musique digne d'un « In C » de Terry Riley, et dont l’expérience serait hors du commun. Mes connaissances sont donc limitées malheureusement. Mais ce qui est fantastique maintenant, c'est que le média permet beaucoup de choses. Peut-être trop, parce j'avais lu dans une interview d'Uematsu qu'il regrettait qu'il y avait trop de possibilités.

Wolf : Il y a tellement d'angles possibles qu'on ne sait pas par où commencer ?

Nicolas Horvath : Oui, voilà ! Mais je pense honnêtement que il y a beaucoup de choses qu'on peut faire au niveau de l'ambiance avec les musiques d'un jeu vidéo.

Wolf : Les musiques de Silent Hill par Akira Yamaoka sont réputées pour ça, on ne peut pas les séparer du jeu parce qu'elles ne sont pas très belles en elles-mêmes, mais en situation elles apportent un gros plus à l'ambiance du jeu.

Nicolas Horvath : J'adore les Silent Hill, mais on est dans la continuité de ce qu'on disait. C'est plus de la musique de film que de la musique tout court. D'ailleurs on est bien plus proche d'ambiances que tu retrouves dans des films d'horreur avec ses sons stridents , ces nappes , et cela … est complètement intraduisible au piano. Je fais aussi des compositions electroacoustiques et je dois admettre que la BO de Silent Hill 1 m'avait beaucoup inspirée ( tout comme la BO du magnifique Tetsuo ).

D'ailleurs, pour nuancer ce que je disais sur le génie, là où Uematsu tire son épingle du jeu parmi tous les autres compositeurs, et il y en a vraiment beaucoup, c'est qu'il demeure un magnifique mélodiste. Tu mets du Nobuo Uematsu, tu le reconnais. Et en ce sens, même si j'avais lu quelque part qu'Uematsu serait celui qui a donné ses lettres de noblesse à la musique de RPG, Sugiyama avec les Dragon Quest a été le premier à chercher à faire quelque chose de symphonique et de mélodieux. Uematsu s'est d'ailleurs beaucoup inspiré de son travail, mais il l'a amené à un autre niveau, ce qui lui a donné une renommée internationale. Il serait dans le jeu vidéo le premier à l’avoir. J'imagine qu'il existe un grand nombre de compositeurs de jeux videos que je ne connais pas encore , et qui sont sans doute formidables, peut-être même que certains rendront mon discours obsolète, des choses très intéressantes semblent se dessiner. Je suis vraiment très curieux de les découvrir , même si mon temps est vraiment très réduit.

J'aime beaucoup les musiques de Zelda et de Mario, mais à mon avis, à côté d'Uematsu, ça ne tient pas. Après, ce n'est pas non plus le même public que les RPG, le compositeur doit s'adapter au public visé, il ne faut surtout pas oublier ce paramètre. Uematsu a aussi fait, si je ne dis pas de bêtises, la musique d'un jeu qui s'appelle Blue Dragon, qui s'adresse à un public beaucoup plus jeune, et on a quand même des mélodies superbes.

Comme on en parlait tout à l'heure, ce n'est pas parce qu'on vend des millions de jeux ou de CD que forcément, ça plaît à tout le monde. Pour donner un exemple idiot, Justin Bieber s'est très bien vendu, ça ne change rien au fait que c'est très moyen, ni que c'est un public très particulier.

Disons que si la musique que tu amènes n'a pas un certain degré de complexité, au niveau technique, au niveau de la mélodie ou de l'enchevêtrement des deux, le public ne va pas accrocher. En ce qui concerne le public de la musique classique, ce que je vais dire va déplaire à beaucoup de monde, c'est un public qui est habitué à de très très belles choses. On dira ce qu'on veut, et malheureusement... Non, pas malheureusement, parce que c'est quand même mon métier, mais je sais que beaucoup de personnes n'aiment pas l'entendre, la grande influence, c'est la musique classique. Elle a posé toutes les bases, tout ce qu'on va retrouver dans tous les styles, du jazz à la techno, à la pop ou à tout ce que tu veux, c'est de la musique classique.

Il faut quand même rappeler que, quand on parle de musique classique, on parle d'une musique qui a 1 200 ans d'évolution. Ça ne se résume pas à Bach, Beethoven ou Mozart. On parle des premiers grégoriens jusqu'à Régis Campo. Ce soir, j'ai joué des musiques qui ont été composées en 2012, de Campo ou de Denis Levaillant. Ce n'est pas parce que je cite ces deux-là que j'oublie les autres, bien sûr. Mais la musique classique continue d'exister, continue d'évoluer. Elle a toujours été en évolution depuis 1 200 ans, donc c'est normal qu'on en retrouve une influence un peu partout. Récemment mes amis de Wayo m'ont fait découvrir une excellente BO (For Orcs and Men je crois) avec de très intéressantes compositions, de la musique mixte, un mélange de sons électroniques avec des instruments traditionnels, très loin des nappes symphoniques et autres effets dignes d'un Symphonia. Bon en concert ça irait très mal avec la Nuit Transfigurée de Schönberg, les quatuors de Boulez ou Carter. Mais en contre partie avec une première partie Haydn et avant Dracula de Glass ou de la musique de chambre de Mehule ou Levaillant ; le public n'y verrait que du feu !

Mais là où je réponds à ta question, après cette explication qui est un petit peu longue, c'est que le public de la musique classique ne peut apprécier la musique de jeux vidéo au piano qu'à partir du moment où on peut lui fournir une musique de la même qualité que les Piano Opera. Je pense que les Piano Opera, de mon point de vue de pianiste concertiste, peut-être que ça ne va pas plaire à ceux qui vont lire ça, sont la première pierre d'une possible émergence du médium de la branche, de la musique du jeu vidéo. Mais il faut que ça puisse perdurer, que les compositeurs et les arrangeurs gardent en tête ce degré d'excellence.

Contrairement à ce qu'on peut imaginer, on a des Final Symphonies qui ont énormément de succès, c'est fantastique, mais c'est de la musique qui est arrangée pour que les fans de jeux vidéos puissent suivre leur expérience passée au plus près. Et le monde de la musique classique est un monde qui ne peut pas se satisfaire uniquement de ce type d'arrangements. On a une transposition de la mélodie sur d'autres instruments, d'autres rythmes, mais on n'a pas une véritable « recherche compositionnelle », une re-création, alors que les Piano Opera partent des mélodies composées par Uematsu et les développent avec beaucoup de fantaisies tel qu'aurait pu le faire un Liszt, un Rachmaninov ou un Volodos. La musique classique se démarque de la musique de films, et de la musique de jeu vidéo, par une technique de développement qui date des premiers temps de la musique écrite. C'est notre « grammaire », et c'est à cette « grammaire » que le grand public de la musique classique est habitué.

Avec de simples arrangements, on peut faire de très jolies musiques, mais au bout de quelques morceaux, le public va être lassé, puis il va lâcher.

Pour citer un autre exemple, un musicien avait fait un arrangement des musiques de Pirates des Caraïbes et d'Harry Potter, qui était absolument superbe. Depuis, on voit un grand nombre d'artistes qui essaient de faire de la « virtuosité gratuite », comme les musiques de Mario avec plein d'accords partout. On sent bien que cela a été composé avec un logiciel et non au piano. Ça impressionne mais c'est injouable au piano, et … c'est moche !

Un autre développement sont les compositeurs comme Hamauzu qui commencent à composer pour instrument de la musique soliste n'ayant aucune référence à un jeux ou film/animé (à ce propos je vais jouer lors de récitals à Kiev et Paris son Senzui). C'est vraiment fantastique et j'espère qu'ils seront plus nombreux à sauter le pas, avoir confiance en leur musique et ne plus faire de la musique que pour leurs fans (Nobuo si tu me lis … ).

J'ai pu le constater avec ces trois derniers récitals où j'ai joué les Piano Opera, le public aime, le public en redemande. Si nous avons la chance de recevoir d'autres arrangements du même niveau que les Piano Opéra, la musique de jeux vidéo aura ses lettres de noblesse et ne sera plus regardée avec mépris. Nous sortons de la préhistoire et un avenir radieux est devant elle !

Un grand merci à Nicolas Horvath pour sa disponibilité

Wolf

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Mais qu'est-ce que t'as dans la tronche ?, José, Les Mystères de l'Amour Saison 3 Thèmes
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