Shin Megami Tensei : Strange Journey | |||||
Deuxième opus non-numéroté avec If... de la branche principale de la série phare d'Atlus, Strange Journey est un jeu destiné aux plus grands fans de la saga. Dans la forme comme dans le fond, il est une relique des RPG des années 90 ; très dur et complètement dépassé techniquement, ce parti pris sans concession ravira certains joueurs comme il en rebutera fatalement d'autres. Fera-t-il vibrer la corde nostalgique qui sommeille en vous ? - Pourquoi suis-je venu, je veux rentrer chez moi... - Au début du XXIème siècle, la population mondiale a atteint les sept milliards d'êtres humains, tandis que les ressources naturelles ont pratiquement disparu. En parallèle, les conflits politiques et les désastres écologiques n'ont eu de cesse de se multiplier. Pour beaucoup, la fin du monde vient de commencer.
C'est dans ce contexte troublé qu'un phénomène étrange se produit au Pôle Sud. Une mystérieuse étendue noire, apparue du jour au lendemain, n'a de cesse de s'étendre, détruisant tout sur son passage. Baptisée « Schwarzwelt », son diamètre passe en six mois d'un mètre à plusieurs centaines de kilomètres, et sa croissance ne s'arrêtera manifestement pas avant d'avoir englouti toute la planète... Inquiets, les pays membres de l'ONU oublient leurs divergences pour monter une expédition regroupant l'élite internationale dans les domaines du combat, de la technologie et de la biologie.
Mais l'expédition tourne au désastre avant même d'avoir commencé. Agressés par la faille dimensionnelle, les quatre vaisseaux sont séparés, le Red Sprite se pose en catastrophe, les moyens de communication sont détruits et le Schwarzwelt s'avère un monde terriblement hostile, peuplé de démons féroces. Les morts se succèdent, l'impuissance se mesure, et l'équipage du vaisseau, le moral au plus bas, cherche alors désespérément un moyen de regagner la Terre...
Aux commandes d'un soldat d'élite de l'USMC affecté au Red Sprite, en compagnie de la scientifique Zelenin, du mercenaire Jimenez et du robot général Arthur, vous êtes chargé d'explorer la dimension maléfique afin d'en trouver l'issue. Qui sait les mystères que vous y rencontrerez... et si vous parviendrez à en stopper la progression.
On attend généralement d'un SMT qu'il bénéficie d'un scénario de première force, capable de remettre en question sans équivoque la condition humaine et ses parties prenantes avec le monde, notamment à travers la religion et les optiques fondamentales de la société. Errances en terre post-apocalyptique, personnages riches aux points de vue aussi tranchés que complémentaires, mise en exergue des erreurs de l'humanité et appel à l'introspection du joueur étaient les leviers principaux rencontrés jusque-là, pour des aventures qui nous poussaient à réfléchir sur nos actes et sur l'avenir que nous traçons à notre espèce et à notre monde.
Ici, nous ne retrouvons pas les bases connues puisque, même si la Terre est en péril, elle n'a pas subi de dégâts réels, et nous ne sommes pas dans un Tokyo dévasté.
Passée la mise en situation, qui peut prendre de trois à cinq heures, le déroulement du jeu s'avère véritablement répétitif et prévisible ; de secteur en secteur, au sein d'un ramassis de situations clichées et de tout un tas de personnages peu ou pas intéressants, il faut vaincre le boss pour obtenir l'objet censé nous ramener sur Terre mais qui permet seulement de passer au secteur suivant et ainsi de suite. Cette redondance et ce découpage en secteurs ne sont pas sans rappeler Shin Megami Tensei : If... ou encore Persona 4. Traverser cette vacuité exige que l'on adhère à l'expérience et qu'on garde l'espoir de voir le tout décoller.
Une fois le seuil des 40 heures et cinq secteurs franchis, l'histoire trouve un intérêt certain dans des rebondissements qui aboutissent à des références plutôt faciles au premier SMT. Certes, on se laissera surprendre si on ne connaît pas le jeu en question, mais quand on sait que le public visé par Strange Journey se compose en majeure partie des anciens joueurs des opus SNES, on peut trouver ce choix d'Atlus contradictoire.
Les trois Alignements fondamentaux (Loi, Neutralité et Chaos) et leurs trois spécificités (Lumière, Neutre et Ténèbres) inspirés de Dungeons&Dragons font leur retour après avoir été suppléés par les Raisons dans Lucifer's Call. Le principe est le même : selon la cause embrassée par le héros, donc par le joueur, l'épilogue et les derniers boss du jeu seront modifiés. Les Alignements ont également quelques conséquences durant les combats et les négociations. Contrairement au troisième SMT, les QCM qui permettent de changer d'opinion sont plutôt nombreux. Si vous ne voulez pas anticiper un déroulement, répondez selon vos propres convictions pour avoir un final qui vous ressemble.
- La beauté, c'est subjectif... mais jusqu'à quel point ?! - La série des MegaTen n'a jamais été réputée pour être à proprement parler une merveille technique ; on peut donc s'attendre à des graphismes et à une animation obsolètes. Au final, Strange Journey a des idées, mais ressort faussement vieilli car il semble développé avec les moyens et le cahier des charges d'un jeu des années 90. Les développeurs ont tenté de faire du neuf avec du vieux, et l'expérience ne s'avère guère concluante...
Les cut-scènes se composent d'artworks peu détaillés au centre de l'écran, ainsi que d'avatars plus riches en détails sur les côtés de l'écran quand l'un des personnages principaux comme Zelenin ou Jimenez prend la parole. Là où le bât blesse, c'est que ces images sont totalement fixes, peu expressives et surtout uniques. Point de multiples dessins agrémentés de mimiques comme dans Disgaea, Suikoden : Tierkreis ou Valkyrie Profile : Covenant of the Plume. Au mieux, on distingue quand la tenue Demonica est pleinement mise ou s'il n'y a que l'uniforme, mais les positions des personnages ne changent pas entre les deux.
Les environnements ne sauvent pas la mise. On voit à travers les yeux du héros sur l'écran supérieur, et les lieux sont composés de gros pixels, plus ou moins répétitifs selon les secteurs et leurs animations comme des flammes qui dansent sont rares et maigres. On a parfois de bonnes surprises comme le fauvisme de Bootes ou les jardins d'Eridanus, mais d'une manière générale, les lieux visités ne sont pas « jolis ». La carte, désormais affichée en permanence sur l'écran inférieur, est quant à elle composée exclusivement de carrés et de marqueurs. Les diagonales ne sont pas au programme, sans même parler des courbes.
Même si le double écran et ses avantages s'avèrent au final très bien exploités, il n'en va pas de même pour le tactile, pratiquement inexistant. Il ne sert qu'à faire glisser la carte, et les fonctions telles que parcourir le menu au stylet ou prendre des notes façon Zelda ou Pokémon ne sont pas au programme.
Les démons peinent également à retenir l'attention alors que cela aurait pu être un gage de qualité. Après tout, Kazuma Kaneko a toujours été un monster designer de premier ordre.
L'ennui, c'est que leur artwork a été retenu tel quel pour apparaître en combat, or leurs postures et expressions ne sont pas toujours adaptées à un affrontement. Par exemple, Cu Chulainn ou Alice ne nous regardent même pas en face. L'animation va du très correct au très pauvre. Le comble, c'est que les démons les moins animés du lot sont les boss de secteur...
La bande-son de Shoji Meguro pose un énorme problème d'adéquation. Bien qu'elles soient très correctement composées et parfois intéressantes en elles-mêmes, les musiques ne sont carrément pas adaptées aux lieux visités ni à la teneur du scénario.
Le ton général est très proche d'un God of War, avec des chants caverneux superposés à des rythmes martelés, même si on trouve quelques pistes plus « raffinées » comme le thème d'Eridanus ou de Mastema. Ce choix aurait été pertinent dans un contexte d'angoisse, de pression, de danger omniprésent... qui n'est pas celui dominant dans Strange Journey, plutôt versé dans l'exploration et l'expectative. Quelques pistes réapparaissent à l'identique pour plusieurs secteurs fondamentalement différents, alors que ce n'est pas justifié. Cela renforce l'impression de restriction budgétaire, et donc, la déception.
Le Schwarzwelt ne détruira pas la Terre d'ici quelques heures, l'expédition n'est pas le dernier bastion de l'humanité et les périls rencontrés ne sont pas tous dramatiques au dernier degré. Dans de telles conditions, l'aspect très oppressant de l'OST serait tombé à merveille ; dans le cas présent, les musiques nuisent à l'ambiance et réciproquement.
- Je suis venu, j'ai vu, j'ai analysé, j'ai récupéré - Si le gameplay de Strange Journey semble assez rudimentaire, il n'en présente pas moins quelques subtilités qui le rendent assez exigeant et évolutif. Dans les formes, on peut y voir un mélange des SMT de la SNES et de Persona 4. On y trouve également une ressemblance avec Etrian Odyssey, rien d'étonnant puisque ces jeux ont été développés par la même équipe que Strange Journey.
Le héros se balade dans les secteurs du Scharzwelt sanglé dans sa tenue Demonica, cette armure aux allures de scaphandre capable d'évoluer, de gagner en puissance et en aptitude en fonction de votre « type de jeu » (si vous êtes du genre tank, mage, guerrier...) défini au début de l'histoire. Tout cela évoque le système de l'opus If... et de ses Gardiens.
La Demonica propose également des fonctions complémentaires à débloquer et à acquérir, qui permettent par exemple de diminuer ou d'augmenter la fréquence des combats, de favoriser les attaques préventives, l'obtention d'objets à chaque victoire, de parler aux démons durant une Pleine Lune, de fusionner des Enigmas, de diminuer les dégâts reçus sur les zones piégées...
- Tous ensemble, on y met le feu ! - Strange Journey repose sur des combats aléatoires au tour par tour, et si leur fréquence n'est pas aussi inhumainement élevée que dans les anciens RPG, elle reste relativement soutenue et les combats sont généralement difficiles, en particulier pendant la découverte d'un nouveau secteur.
Les démons apparaissent, si vous les rencontrez pour la toute première fois, sous la forme d'un nuage de points bleus. Il faut les terrasser au moins une fois pour les distinguer correctement. Vous apprendrez leurs capacités et leurs résistances à force de les affronter, d'exploiter leurs faiblesses, en les recrutant/fusionnant ou en les gardant dans votre équipe. Pour affronter ses ennemis, le héros dispose d'une arme blanche tel un couteau ou un katana, d'une arme à feu et d'une armure. Il peut bénéficier de skills comparables aux pouvoirs offensifs des démons comme Maragi ou Bufudyne, mais plus gloutons en SP.
Entre un et trois démons recrutés ou fusionnés peuvent monter au front aux côtés du héros. Ils sont soumis aux mêmes principes mais n'ont pas d'équipements. À partir de là, on trouve un système digne d'un SMT : pour gagner, il est impératif de jouer au maximum sur les Faiblesses des démons.
Moins complexe que les Press Turns de Lucifer's Call ou de Digital Devil Saga, ce concept évoque les All-Out Attacks de Persona 3 ou 4, à la différence près qu'il n'est pas nécessaire de toucher tous les ennemis pour en bénéficier ; ce second coup se déclenche sur chaque démon affiché « Weak », même au sein d'une attaque générale. À partir d'un certain niveau, il devient impossible de s'en passer.
À n'importe quel moment d'un combat, sauf si le héros est endormi ou charmé, il est possible d'entamer le dialogue avec un démon. Si ce dernier est de type Ténèbres, il vous enverra paître. Sinon, il vous posera deux questions auquel il vous faudra répondre ce qu'il veut entendre afin de capter son attention.
Si la prise de contact se passe bien, vous pourrez alors demander un objet ou négocier afin qu'il rejoigne vos rangs. Dans ce cas de figure, il exigera en retour des Maccas, HP, SP ou objets.
Une fois que vous avez obtenu deux démons ou plus, il est possible de les fusionner. Cette fonction est désormais directement intégrée à la Demonica, vous y avez accès quand vous le souhaitez. Les résultats de chaque fusion sont connus d'avance, vous n'avancez pas au petit bonheur la chance.
- Un long chemin d'épines, que seuls les braves arpenteront jusqu'au bout... - Shin Megami Tensei est réputée pour être une série particulièrement difficile. De ce côté-là, Strange Journey s'en tire avec les honneurs en offrant un challenge très redoutable.
La progression est particulièrement éprouvante, du fait du recrutement parfois décourageant, des fusions pas toujours intéressantes et de certains éléments d'attaque indisponibles ou inutiles par moments. Les combats aléatoires ne sont pas tous évidents, certains sont même capables de vous laisser sur le carreau si vous jouez de malchance ou si vous ne faites pas suffisamment attention à vos HP. Il faut savoir que la partie se termine dès que le héros est KO ou pétrifié, et non toute votre équipe comme dans la plupart des Final Fantasy. Les retours au QG à bride abattue grâce à la fonction « Retour » des terminaux de sauvegarde sont monnaie courante.
Les boss de secteur sont généralement des parangons de difficulté car ils possèdent des skills ou des attributs naturels proprement abusifs, tel qu'infliger n'importe quelle altération d'état sur toute l'équipe, ou mettre automatiquement KO tout personnage qui lance un sort, sans qu'on ne puisse rien faire sinon s'adapter à ces conditions. La victoire vous demandera peut-être plusieurs heures de leveling, de quêtes de Formas ou de tentatives de fusions, à plus forte raison si un QCM vous a fait changer d'Alignement, auquel cas il vous faudra recomposer toute votre équipe.
Cela dit, la difficulté est déjà élevée, mais elle aurait pu l'être encore plus ; les ennemis ne bénéficient pas de Follow-Up Attack, les attaques surprises ne sont pas aussi systématiques que jadis et les boss ont presque toujours une ou plusieurs Faiblesses. Malgré cela, il faut vraiment s'armer de patience et croire en soi pour triompher de ce jeu.
Finir ce titre vous retiendra soixante-dix ou quatre-vingt heures. Pour un jeu sur console portable qu'on ne se procure que par import, c'est une longévité plus que raisonnable, surtout que les à-côtés ne manquent pas.
Outre le Compendium et les descriptions culturelles de toutes les créatures qui vous auront rejoint, intéressantes pour les amateurs de mythologies en tout genre, le jeu offre de nombreuses Ex Missions, des quêtes annexes qui consistent à vaincre un boss optionnel, à trouver certains objets ou à rencontrer certains démons dans un ordre précis. Ces quêtes vous rapportent des objets, de l'argent, ou parfois des upgrades secrets pour votre Demonica.
Note attribuée : 14/20
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