Disgaea 3 : Absence of Detention | |||||
A toute série son mouton noir, et pour la licence fétiche de NIS, la place se dispute entre le deuxième et le troisième opus, d'un joueur à l'autre. Mais s'agit-il d'une réputation bien acquise en raison de réelles tares, ou d'une méprise basée sur des impressions trop hâtives ? Penchons-nous sur la version Vita de ce titre pour apporter des éléments de réponse. Démon mondain, père et impair, aurore des héros... Depuis des temps immémoriaux, la prestigieuse Evil Academy forme les plus féroces démons sous l’œil sévère de son doyen, l'Overlord. Les professeurs s'assurent que leurs élèves suivent la voie du parfait démon et sont aidés pour cela par la figure charismatique de l'étudiant d'honneur, Mao, le fils de l'Overlord. Celui-ci suit en effet le règlement mieux que quiconque en séchant tous les cours, en recourant tant que possible à la violence et en valorisant solitude et paranoïa. Avec les Disgaea, il vaut mieux se méfier avant de se prononcer sur l'histoire, car leur départ d'apparence simpliste peut cacher une véritable profondeur dans le traitement et l'interaction des personnages, particulièrement intéressante à décortiquer. Disgaea 3 en est le meilleur représentant après le premier Disgaea, car si vous ne vous en tenez qu'aux stricts événements, vous allez rapidement regretter votre investissement. Par contre, si vous dépassez la surface, vous pourrez y trouver des qualités inattendues, surtout un traitement beaucoup moins niais qu'on pouvait le craindre des thèmes abordés. Mais attention, l'expérience ne manque pas d'écueils assez gratinés qui pourront vous dissuader de chercher plus loin que la seule surface. Les défauts ne s'arrêtent pas là : envers et malgré le comique de caractère omniprésent qui rend l'équipe homogène et attachante tout en donnant un rythme correct à nos errances, les péripéties du groupe manquent souvent de liant. On s'attachera donc à nos personnages, pas à leurs aventures, parce qu'on passe sans arrêt d'une idée à une autre qui n'a aucun rapport avec la précédente, voire qui tombe tout droit de la lune. Ces transitions nous font passer de passages justifiés par le texte du jeu (les visites à la Heart Bank) à d'autres justifiés uniquement par les clichés du genre (l’œuf de dragon). Un yo-yo constant entre tous ces moments qui se côtoient et s'alternent sans chercher à se justifier, sinon par une phrase à l'arrache qui pourrait presque reconnaître que le nouvel événement n'était pas prévu au programme. Il y a de quoi croire que le scénario a été écrit façon cadavre exquis ponctué d'un verre de rhum à chaque tour de table, vu qu'il est aussi difficile de saisir la logique des personnages que de l'univers ! Et pourtant, s'en tenir à cela, ce serait passer à côté du meilleur. Au-delà de la seule intrigue, pas si désagréable à suivre que ça grâce aux caractères variés de nos (anti)héros, les protagonistes gardent en réserve un développement beaucoup moins évident qu'il n'y paraît, parfois en filigrane et parfois plutôt cruel. Le jeu arrive aussi à vulgariser efficacement des notions de psychiatrie, comme l'importance du rapport filial ou de la personnalité « mana » dans l'émergence du Surmoi. En la matière, la relation qui unie Mao à Almaz, deux adolescents aux caractères on ne peut plus antithétiques ayant tous deux choisis de se donner un titre d'autorité sans en comprendre l'enjeu réel, le tout pour des raisons assez légères, mérite son lot d'éloges. Cela dit, la façade de « furyô » de Raspberyl cachant un affect bien plus torturé se défend tout aussi bien. Et les personnages les plus centraux ne sont pas les seuls concernés, la plupart des membres du casting n'ont pas leur attitude pour le plaisir du gag mais bien parce que leur rôle, leur passé, leurs expériences et leurs attentes le justifient (même si on voit çà et là quelques exceptions à la règle comme Salvatore). Bref, le scénario de Disgaea 3 ne paie absolument pas de mine, personne ne dit le contraire et c'est un fait acquis. Pour autant, n'y a-t-il rien pour nous pousser à le suivre et en ressort-on sans le moindre enseignement ? Loin s'en faut, dans un cas comme dans l'autre ! La version Vita vous aidera même bien davantage à le mesurer puisqu'elle propose plusieurs scénarios supplémentaires gratuits, qui se montrent très pertinents de par leur écriture et leurs partis pris. Des scénarios parfois proposés sur PS3 en DLC payants, ce qui pouvait faire hausser un sourcil ou deux. S'y ajoute des histoires exclusives à cette nouvelle mouture, dont une qui introduit le personnage le plus chû kawaii qu'on ait jamais vu dans la licence, mais qui impose de passer pas mal de temps sur les histoires précédentes avant de le rencontrer. Signalons à toutes fins utiles que, contrairement à sa version originale, Absence of Detention n'est pas traduit en français, seuls l'anglais (à un niveau scolaire) ou le japonais s'offrent à vous ; cela dit, compte tenu de la réputation de cette fameuse traduction, ce n'est pas forcément un mal de l'éviter... Attention les yeux et les oreilles, je suis un brouillon d'idées ! Il y a des choses dans la vie qu'on laisse passer plus facilement que d'autres, mais quand on sait que la septième génération de console voulait avant tout offrir des jeux entièrement en résolution HD, il est difficile de pardonner NIS qui reprend sa licence phare avec un jeu en SD vraiment très proche visuellement du précédent opus (pour l'anecdote, le premier Disgaea était initialement prévu pour la PS1 et a donc été édité sur support CD). Certes, le jeu n'aurait pas forcément ébloui pour autant s'il avait pris quelques semaines ou mois de plus pour se mettre à l'heure du HD, mais il y avait des choses à rectifier quand même, ne serait-ce que des artworks plus « exceptionnels » pour des scènes précises (notamment les flashbacks de Mao et Raspberyl). La direction artistique du jeu n'exploite pas toujours à fond la thématique de l'école et finit par y renoncer dans les derniers chapitres pour se concentrer sur un rendu plus générique, pas si moche mais pas transcendant pour autant. Le character design respecte à la lettre le cahier des charges habituel avec ces manches, ces chaussures et ces tours de cou surchargés, et on ne peut pas dire que Mao se défende de sa ressemblance avec Laharl, autant sur son caractère que son design, tout comme Almaz et Ash. Bien qu'on remarque des choix de formes et de couleurs plutôt inspirés pour alimenter les distances et les rapprochements entre les personnages, on reste dans un terrain qu'on commençait déjà à bien connaître après différents titres NIS. L'audio impose le même constat : si on dépasse la première impression qui a de quoi rebuter, notamment la vomitive Extreme Outlaw King comme thème de QG, on trouvera une OST très proche de ce qu'on a déjà entendu avant, en beaucoup moins burlesque, avec toutefois quelques fulgurances bienvenues (Wanderer's Poem, Tale of Pure-Hearted Youth). De quoi soutenir efficacement les cut-scenes autant que les combats, sans avoir trop l'impression de les entendre tourner en boucle, mais sans avoir pour autant des thèmes qu'on aimera d'un amour fou sur la durée. Une prestation ni superbe ni mauvaise, voilà comment on pourra la définir au mieux. Le doublage anglais est un dilemme : les performances d'acteur sont très louables, aussi bonnes que celles de Disgaea 2 et meilleures que celles du 4, les personnages ont un ton très juste et on voit même des subtilités pour appuyer leur caractère (comme l'accent allemand de Salvatore ou Almaz qui rend à merveille son côté pleurnichard) mais... on a l'impression que chaque doubleur devait gérer une demi-douzaine de personnages chacun, de sorte qu'on entend toujours la même personne. Un reproche qu'on n'adressera pas au doublage japonais qui, en plus d'avoir un jeu d'acteur encore plus juste et motivé que l'anglais, arrive à rendre chaque voix unique et dissociable. Nice to meet you, I shall crush you Si vous avez déjà joué à un Disgaea, vous ne serez pas dépaysé par cet opus : les combats ne sont pas tellement différents des autres, la stratégie étant toujours aussi secondaire par rapport à la puissance pure. En revanche, la préparation en amont et le « powerbuilding » ont été profondément remaniés, de sorte qu'on puisse terminer l'histoire sans avoir trop besoin de farmer. Sans entrer dans les détails, voici l'essentiel à savoir. Les batailles consistent toujours à éliminer tous les ennemis sur la map. Ceci nous épargne les habituelles missions de sauvetage de PNJ suicidaires, la plaie toutes générations confondues des T-RPG, mais on se retrouve parfois à vouloir varier un peu les plaisirs. Vos unités sortent de votre seule Base Panel, et c'est à vous de les placer sur le terrain en fonction de leurs aptitudes, de leurs déplacements et de leur état général. Vous avez le choix entre l'attaque simple, qui peut donner lieu à une attaque à l'unisson si vos unités adjacentes s'entendent bien, les attaques spéciales qui coûtent des SP et peuvent nécessiter un positionnement particulier, ou les objets qui soignent ou boostent vos unités. Il vous faudra aussi prendre garde aux Geo Blocks et aux effets qu'ils donnent aux Geo Panels, ainsi qu'à leur potentielle destruction en chaîne. Rien que de très classique jusqu'ici, c'est la base fixe de tous les Disgaea. Abordons donc ce qui change, et on verra deux ou trois changements majeurs. Commençons par l'innovation à laquelle vous serez le plus souvent confronté : la forme en cube des Geo Blocks leur permet désormais de s'empiler, et en plaçant deux blocs de la même couleur au contact, cela provoque leur destruction en chaîne. Les maps sont parfois conçues dans ce sens, en donnant des avantages considérables aux ennemis qu'il vous appartient d'annuler en exploitant cette particularité. Ce sera aussi une dimension majeure du « Class World », une nouvelle fonction qui vous permet d'augmenter les aptitudes de vos unités. Notons également que la mouture Vita ajoute des skills exclusifs aux classes génériques (comme l'excellent Shock Fixer de la Valkyrie ou l'Overload de la Healer) ou les différentes personnalités pour varier leurs phrases-types. On regrettera cependant qu'ils aient ajouté les paroles en sortant de la Base Panel, ce qui est quand même rapidement gonflant, plutôt que de nous permettre d'annuler notre action ou notre déplacement sans avoir à tout refaire, comme dans Disgaea 4. Nous avons donc vu comment se passe les batailles, mais avant de monter au front, vous aurez à gérer de nombreux détails, une fois que vous aurez acheté les équipements qui vous plaisent ou passer les lois les plus importantes (notamment pour avoir de meilleures marchandises). Les capacités liées aux armes humanoïdes ne s'acquièrent plus à force d'utiliser ladite arme mais doivent être achetées avec du Mana dès que vous serez au niveau nécessaire. Ce même pouvoir, une fois acquis, devra être « upgradé » avec du Mana (cela concerne notamment la zone d'effet des sorts des mages). Si, au début, le bond prodigieux en consommation de SP tend à nous effrayer, ce n'est plus un problème vers la fin du jeu, quand on a des SP à ne plus savoir qu'en faire et que les maps sont pensés exclusivement pour faire du one-shot. Et comme on obtient le Mana en achevant un ennemi, on voit rapidement l'intérêt des attaques combinées pour les classes les moins offensives comme la Healer. De la même façon, il vous faudra acheter et gérer vos pouvoir passifs, ici nommés Evilities. Le jeu introduit également la salle de classe et les clubs. Vous devez d'abord placer vos unités à des bureaux, et s'ils sont côte à côte, ils bénéficieront d'une chance d'attaque à l'unisson plus élevée, ce qui est très utile pour les classes « full contact ». Mais vous pouvez aussi choisir leur club, qui a des effets comme voler 50% du Mana gagné par leur voisin, augmenter de 25% l'expérience si vous êtes dans un angle, améliorer la durée et l'efficacité du Magichange... et cetera, et cetera. Si vous le souhaitez, vous aurez aussi à calculer le bonus de stats dont bénéficie le leader du club quand un membre gagne un niveau (héritage du système master-pupil, mais en bien plus souple) quoique ce soit des plus accessoires, le levelling normal vous garantit déjà le niveau requis pour gagner. Au début, tout ceci relève plutôt du gadget inutile, mais à mesure que vous approchez du boss final, vous y aurez de plus en plus recours, même si cela implique de bien se prendre la tête sur la disposition de la salle de classe. Mais de cette façon, vous pourrez optimiser rapidement vos forces sans passer par la case « grinding » comme ça a pu être le cas sur le 1 et le 2. Si on le prend dans son ensemble, Disgaea 3 donne un solide coup de plumeau au game system de la licence tout en offrant une bonne expérience d'optimisation à moyen terme. Il commence par vous prendre gentiment par la main, dans des missions qui prônent l'importance des placements/déplacements et où il ne faut jamais abuser des skills pour ne pas risquer la panne sèche de SP. Et puis, petit à petit, il glisse vers des missions où tout n'est qu'une question de puissance pure : toutes vos passes d'armes doivent se plier en un coup, deux au maximum. Le post-game propose des missions où ces deux dimensions se côtoient, les maps et leurs Geo Effects étant pensés de façon ultra-punitive où un pas de trop entraîne la mort de toute l'équipe devant des ennemis qui vous attendent de pied ferme. Fort heureusement, le temps d'en arriver là, vous aurez eu tout le temps de mettre sur pied votre équipe et votre stratégie, sans parler de l'arrivée des personnages en DLC qui peuvent donner un sérieux boost à vos forces (notamment Adell et son Vulcan Blaze surpuissant) si vous prenez le temps de bien les mettre à niveau. Le jeu a une durée de vie en accordéon : pour finir l'histoire principale, tablez sur trente à cinquante heures de jeu en fonction de votre recours au saint farming et à l'Item World, le boss final se pliant aisément aux alentours du niveau 100. Cependant, une fois ce dernier vaincu, le jeu ne fait que commencer, car les scénarios bonus et les maps en post-game vous tendent les bras ! Le jeu fait d'ailleurs l'effort particulièrement louable de bien l'introduire, de façon à vous donner envie de vous y essayer même à petite dose. C'est là que vous allez goûter aux maps autrement plus exigeantes, au levelling intensif et à toutes les subtilités bien présentes pour vous constituer des unités beaucoup plus puissantes que leur niveau ou équipement ne le laissent croire. Un plaisir bien réel et addictif, tellement les événements en présence donnent leur légitimité aux heures supplémentaires. Sans aller nécessairement jusqu'au niveau 9999, vous aurez bien la volonté de pousser autour du 250, soit le niveau requis pour boucler toutes les histoires exclusives ! La Vita mine le marché ? Pas autant que la Perce-tation ! Nous avons vu au cours de ce test quelques unes des nouveautés inhérentes à la version Vita et il serait terriblement fastidieux de toutes les lister ici bas. Parlons surtout de la dimension la plus économique : tous les DLC du jeu sont ici disponibles gratuitement. Ça n'a l'air de rien, mais cela nous fait découvrir des personnages et leurs jeux associés sans remords. Sur PS3, il faut débourser 2€ pour des personnages Kinder Surprise sans jamais savoir si cela en vaut la peine, car leur présentation ne donne que des informations très éparses. Si on achète au petit bonheur, on peut tomber sur la bonne pioche. Mais il arrive aussi qu'on tombe sur des mauvaises surprises. Payer en espérant avoir sur un coup de chance un personnage efficient, c'est un plaisir assez discutable et ça fait facilement monter le prix du jeu complet à 100€ (60€ le Blu-Ray, 15€ le scénario de Raspberyl, plus 25 ou 30€ de personnages DLC). La version Vita vous offre tout cela dans une version optimisée pour seulement 40€ sans avoir besoin de passer par le online, sans parler des autres ajouts. Autant dire que si vous deviez hésiter entre ces deux formats, le choix devrait être évident (nonobstant, la version Vita nous force quand même à paramétrer le online d'une manière ô combien subtile que je vous invite à découvrir vous-mêmes...). Venons-en d'ailleurs à cette fameuse question : est-ce que les ajouts et réajustements justifient réellement l'achat de ce jeu assez peu engageant, qui s'adresse à un public assez ciblé, sur une console aux résultats assez désastreux ? Si vous avez déjà fait la version PS3, alors il est plus que probable que la version Vita ne vous soit pas vraiment utile, à plus forte raison si vous avez déjà investi dans les DLC (le scénario de Raspberyl en particulier). Les ajouts les plus concrets, comme le nouveau scénario, nécessitent un très long temps de jeu qui vous sera peut-être hautement indigeste pour un jeu que vous connaissez déjà. Si vous ne connaissez pas les Disgaea, le 3 n'est pas le meilleur choix pour démarrer. Son gameplay assez complexe n'est pas toujours très bien expliqué et son scénario n'est pas le plus agréable à suivre. Penchez-vous d'abord sur le 1 (de préférence sur PSP) ou sur le 4 (de préférence sur Vita) afin d'avoir une initiation plus en douceur. Vous serez alors plus rôdé pour vous frotter au 3, ou à l'inverse, vous aurez la certitude que cette série ne vous est pas destinée. Si vous avez déjà fait un ou plusieurs Disgaea et que l'expérience vous a plu, alors oui, vous pouvez vous laisser tenter par l'expérience. Il nécessite certes de gratter un peu les apparences pour bien mesurer toute sa valeur, toute sa noirceur et pour maîtriser pleinement son gameplay riche et obscur, mais il en vaut la peine. Et une fois l'histoire terminée, alors que le jeu démarre réellement, les DLC et caméos vous feront voir que NIS n'a pas fait que du T-RPG dans son existence et que leur catalogue ne s'arrête pas à Disgaea, loin de là ! C'est juste leur licence qui a su se constituer la fanbase la plus solide et la plus loyale, là où leurs autres IP n'ont pas su trouver leur public, à tort ou à raison...
Note attribuée : 14/20
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