The Thaumaturge | |||||
Si vous pensez avoir déjà entendu le nom du studio polonais Fool's Theory mais sans pour autant savoir où, c'est parce qu'ils n'ont à leur actif qu'un seul jeu sorti : Seven : The Days Long Gone, un RPG d'infiltration sorti en 2017. Et c'est plus sûrement grâce à l'annonce du remake de The Witcher que vous les connaissez, car ce sont eux, en partenariat avec CD Projekt RED, qui s'occupent de son développement. Mais ce dont nous allons parler aujourd'hui, c'est de leur ex-projet Vitriol, initialement annoncé en 2019 et finalement rebaptisé en mars 2023 The Thaumaturge. Disponible depuis mars 2024 sur PC et par la suite sur PS5 et Xbox Series, il peut représenter un baptême du feu pour le studio avant la sortie tant attendue de leur projet sus-cité. Que nous réserve The Thaumaturge ? Réussit-il à se démarquer des autres jeux du même genre et à se hisser dans nos mémoires ? L'Histoire, avec un grand HL'histoire débute en septembre 1905, dans un petit village de Géorgie où Wiktor Szulski, Thaumaturge (littéralement un faiseur de miracles), est à la recherche d'une personne en mesure de l'aider. En effet, depuis qu'il a tenté, sans succès, de capturer un Salutor sauvage, il a perdu le contact avec son propre Salutor originel et est en passe de sombrer dans la folie. Il s'agit de sortes de démons, créatures invisibles pour la plupart et issues du folklore ou de différents mythes et légendes. Heureusement pour lui, ses recherches touchent à leur fin puisqu'il va rencontrer un certain Grigori Efimovitch Raspoutine, prédicateur, guérisseur et guide spirituel, qui va réussir à apaiser ses souffrances. Toutefois, après un prologue qui nous permet de prendre en main les principales mécaniques, Wiktor apprend le soudain décès de son père et décide de retourner dans sa ville natale, Varsovie, pour assister à ses funérailles aux côtés de sa sœur et en apprendre plus sur les circonstances de sa mort, accompagné de Raspoutine qui s'intéresse aux pouvoirs du thaumaturge. Pour le contexte historique, à cette époque, le royaume de Pologne a été rayé de la carte lors de son partage entre plusieurs pays, et est actuellement occupé par la Russie. Varsovie ne fait pas exception ; sous le règne du tsar Nikolas II, la dictature est sur le fil du rasoir alors que la révolution menace d'éclater davantage de jour en jour, notamment après de sanglants événements survenus en janvier de cette même année. Le peuple est divisé entre ceux qui souhaitent se plier aux lois, les patriotes qui cherchent à restaurer la Pologne d'antan, et les différents partis politiques qui agissent dans l'ombre, en toute illégalité, et organisent des révoltes. Tout ceci est bien retranscrit dans le jeu, et il faut ajouter en plus à cela les thaumaturges qui partagent beaucoup l'opinion publique. Certains les considèrent comme des charlatans, d'autres comme des sorciers occultes, et seraient prêts à payer cher pour s'en débarrasser. Wiktor SzulskiWiktor Szulski est issu d'une famille bourgeoise dans laquelle son père et lui-même ont hérité des pouvoirs de thaumaturge. Malheureusement, la relation avec son père fut très compliquée, et il fut exilé en France par ce dernier dès l'adolescence en raison d'erreurs de jeunesse. Il a ensuite passé plus de quinze ans à voyager, et se considère donc en marge de la société. Wiktor possède un caractère calme et posé, mais il se caractérise aussi par sa fierté, et c'est d'ailleurs là sa faille. En effet, une personne dont certaines émotions sont exacerbées peuvent créer une faille en eux-même, ce qui a tendance à attirer les Salutors. Le Salutor qui apparaît va se nourrir de cette faille et rester à ses côtés. Si la personne est thaumaturge, c'est-à-dire qu'elle possède le pouvoir de voir les Salutors, entre autres choses, elle peut aussi apprendre à le contrôler et faire de lui un fidèle compagnon. Il n'y a pas de création de personnage, ni même aucun moyen de personnaliser son expérience au départ ; une fois en ville, il sera néanmoins possible de passer chez le coiffeur-barbier pour changer de coupe, et on peut également débloquer des tenues aux couleurs et motifs différents, mais restant toujours dans le même style. Il n'y a donc que très peu de place faite aux choix du joueur de ce point de vue. Wiktor revient à contrecœur à Varsovie, en ayant nourri une bonne partie de sa vie une grande rancœur vis-à-vis de son père, qu'il n'a finalement jamais pu revoir autrement que dans ses cauchemars. Bien qu'il pense ne rien recevoir, il hérite du grimoire noir de son père. Si un tel livre ne possède réellement aucune valeur pour tout un chacun, ni même pour un autre thaumaturge, il représente le bien personnel le plus précieux de son propriétaire. Pourquoi en avoir hérité ? Malheureusement, celui-ci semble avoir disparu et personne ne sait où il se trouve… aurait-il été volé ? Wiktor va donc décider, à contrecœur, de s'engager sur la trace du passé de son père, et peut-être même élucider des mystères dont il n'a encore pas conscience. Outre son objectif concernant son héritage, Wiktor a également la conviction d'être en mesure de capturer d'autres Salutors. En arpentant Varsovie, il va lui arriver de faire la découverte de Salutors ayant pris certaines personnes pour cible ; il va donc tout faire pour les capturer et accroître sa puissance. Thaumaturge ou fabulathurge ?Pour en revenir aux pouvoirs d'un thaumaturge, s'ils sont autant controversés, c'est parce qu'en examinant des objets de tous les jours, trouvés grâce à sa perception améliorée, celui-ci est capable de lire les émotions transmises volontairement ou non à cet objet. Chaque personne laissant une marque personnelle, il peut ensuite définir avec exactitude la personne qui a touché l'objet s'il l'a déjà rencontrée, dans quelles circonstances, et donc avec quelles intentions. C'est une manière indirecte de lire dans les pensées les plus intimes des gens. Et bien sûr, cela ne s'arrête pas là, car grâce à son Salutor, il peut également manipuler ponctuellement les émotions d'une personne pour qu'elle agisse à sa guise, ou qu'elle se montre plus conciliante, par exemple. Lorsque Wiktor rencontre un Salutor, il va devoir découvrir qui est le porteur de faille l'ayant attiré, afin de la lui prendre et pouvoir le capturer ensuite. Chaque Salutor suit une dimension précise, entre la Parole, l'Acte, l'Esprit et le Cœur, qui peuvent être développées de manière parfaitement linéaire. Les pouvoirs du thaumaturge sont donc répartis entre chacune d’elles. Chaque élément débloqué augmente le niveau de la dimension correspondante, mais peut également débloquer de nouvelles capacités de combat et donner des améliorations à ajouter à celles-ci, ce dont nous reparlerons après. Le développement d'une dimension est conditionné par la capture effective ou non d'un Salutor. Tant que vous ne possédez pas celui correspondant, vous serez forcément bloqué à un moment donné dans l'évolution. Cela dit, il n'existe qu'un total de 8 Salutors, en incluant celui d'origine, et la moitié d'entre eux sont optionnels. Certains ne peuvent être obtenus qu'en accomplissant une quête annexe plus ou moins longue, tandis que d'autres font partie de l'histoire, mais vous avez le choix de les capturer ou non. Cela signifie que développer totalement les dimensions est aussi optionnel et dépendant des choix. Pour chaque Salutor, on obtient également une faille ; certaines améliorent le niveau d'une dimension correspondante, tandis que d'autres octroient un effet passif au combat. Il y a deux éléments importants à savoir : le premier étant que le niveau des dimensions est la seule statistique visible et connue du personnage, en dehors des combats du moins. Il est impossible de voir son statut, ses points de vie, son attaque, etc. La seconde chose est que le niveau de chaque dimension n'améliore pas directement Wiktor ou ses Salutors, mais sa capacité à interagir avec des objets de quête, procéder à certains choix de discussion, ou encore répondre à certaines conditions au combat. Toutefois, le niveau d'une dimension ne définit pas le nombre d'améliorations débloquées, ces deux éléments étant indépendants. Pour développer l'arbre de capacités, il faut obtenir des points de thaumaturgie. On obtient un point à chaque fois qu'une jauge d'expérience est remplie. Tout comme c'est le cas dans Disco Elysium, il n'y a pas de niveau de personnage, seulement des points à attribuer. L'expérience est quant à elle obtenue pour chaque entrée dans le journal, pour chaque objet avec lequel on interagit, qu'il fasse partie d'une quête ou non. Il y a donc les éléments qui servent surtout à développer la toile de fond, pour en savoir plus sur les lieux, les personnes, l'époque et le contexte, et d'autres qui servent à dévoiler des faits sur les autres personnages que l'on rencontre, et généralement résoudre une affaire. Bien sûr, on obtient aussi de l'expérience à l'issue d'un affrontement. Vaincre ses démons, et plus encoreJustement, du point de vue du combat, comment le jeu parvient-il à intégrer les Salutors et la thaumaturgie dans un univers historique réaliste ? Les combats se déroulent au tour par tour, et se déclenchent non pas avec des rencontres aléatoires, mais suite à certains événements en ville. Comme tous les adversaires sont des humains à quelques exceptions près, cela ressemble le plus souvent à des bagarres de rue. Notre protagoniste est, durant la grande majorité du temps, seul face au groupe d'adversaires pouvant comporter jusqu'à quatre personnes à la fois, certains pouvant appeler des renforts. Il arrive parfois, lors d'une quête d'histoire, d'être accompagné par un allié (contrôlé par l'IA), mais cela dépend généralement des choix et l'allié en question n'est pas vraiment d'une grande utilité, à part disperser les attaques adverses ou achever un ennemi affaibli. En effet, celui-ci se contente en général d'attaquer une cible au hasard, et il n'y a pas de soutien réel envers le protagoniste.
Bien sûr, Wiktor est accompagné de son ou ses Salutors. Lors d'un tour de combat, chaque personne présente, qu'elle soit alliée ou ennemie, prépare une action. Le joueur doit également sélectionner une action pour l'un des Salutors. L'ordre des actions dépend de la vitesse de celles-ci. Comme les personnages n'ont pas vraiment de statistiques, la vitesse est définie pour chaque type d'action, et on peut prévoir, ou plutôt simuler, le temps de préparation d'une attaque sur la chronologie du tour avant de la sélectionner, afin de savoir si cela arrivera avant ou après celle des adversaires. À chaque tour, on peut sélectionner un autre Salutor ou faire agir à nouveau le même ; il n'y a aucune limitation au nombre d'utilisations de l'un ou de l'autre, et on est libre de choisir celui que l'on souhaite ou qui nous arrange le plus selon la situation. Par contre, on est toujours limité à une seule action de Salutor à la fois — ce qui est un peu dommage lorsqu'on en a plusieurs – ce qui signifie qu'il faut bien réfléchir et calculer son coup pour ne pas être submergé par les attaques adverses à la fin du tour à venir. De plus, le Salutor n'étant pas matériel, il ne peut pas encaisser les coups, seul Wiktor (et tout allié présent, s'il y en a) est la cible des attaques. Parmi les actions possibles, il y a l'attaque rapide, l'attaque préparée, bien plus lente, une action infligeant des dégâts dans le temps, une capacité d'influence et une attaque puissante. Les attaques de base sont soit au poing ou au pistolet, selon la position de l'ennemi et indépendamment des choix du joueur. L'un ou l'autre ne change rien à la puissance du coup. Certaines techniques sont accessibles par défaut, d'autres ne peuvent être débloquées qu'en améliorant le niveau de thaumaturgie correspondant à chaque Salutor. De plus, chaque action peut posséder jusqu'à trois rangs, améliorant ses effets si celle-ci est utilisée une seconde ou une troisième fois d'affilée. On peut aussi attribuer à chaque rang d'attaque un bonus au choix, et surtout, on peut en changer à tout moment, hors combat. Toutefois, le rang du bonus attribué doit être égal ou inférieur à celui de l'attaque pour pouvoir lui être équipé. Néanmoins, plus le rang d'un bonus ou d'une capacité est élevé, et plus elle se trouve loin sur l'arbre de thaumaturgie, et comme nous l'avons précisé plus haut, selon les choix scénaristiques et les Salutors capturés, il est tout à fait possible de ne pas y avoir accès. À noter qu'il n'y a aucune possibilité de personnalisation de l'équipement dans le jeu (hormis les couleurs du costume), ainsi, tout passe par les pouvoirs du thaumaturge et les capacités de combat et leur bonus. Revenons-en aux types d'attaques. Parmi celles mentionnées, il y a notamment les capacités d'influence, qui fonctionnent un peu différemment des autres. Celles-ci permettent de retirer un ou plusieurs points de concentration à l'adversaire, au lieu d'endommager la santé. Wiktor et ses adversaires disposent tous d'un certain nombre de points de concentration. Vider la jauge de concentration permet notamment d'accéder à l'attaque puissante, susceptible de vaincre l'adversaire en un coup, ou au moins de lui infliger de lourds dégâts. De plus, un ennemi peut posséder une capacité passive, un trait, qui ajoute certains effets à son attaque ou à sa défense. Par exemple, il peut être totalement immunisé aux altérations d'état, ou bien réduire grandement les dégâts subis, etc. Vider sa jauge de concentration va permettre de désactiver son trait de manière temporaire, jusqu'à la fin de son tour, après quoi la concentration est rechargée. Cependant, chaque trait peut aussi être désactivé de manière permanente en remplissant certaines conditions : il faut posséder un niveau suffisant dans une dimension de thaumaturgie indiquée, et un Salutor correspondant, puis l'attaquer une fois avec. Tout ceci est clairement précisé lorsqu'on place le curseur sur les adversaires présents. Vers la fin du jeu, les ennemis peuvent disposer aussi de plusieurs capacités passives, mais une seule est désactivable. Même si un combat s'est engagé, avant de le démarrer pour de bon, il est possible de consulter les informations de base des adversaires et même accéder au menu de thaumaturgie, pour éventuellement y dépenser un point disponible ou modifier les améliorations des attaques. En pratique, les adversaires peuvent donc être gérés de manières différentes : on peut se focaliser sur leur concentration pour leur infliger une attaque puissante décisive, infliger des dégâts sur la durée à chaque ennemi pour attaquer sur plusieurs fronts à la fois, ou enchaîner les attaques rapides ou préparées. Pendant ce temps, les Salutors possèdent chacun leurs forces et faiblesses : l'un d'eux va avoir plus de capacités réduisant la concentration, l'autre va infliger de plus lourds dégâts aux cibles affectées par des altérations d'état, certains sont capables de soigner en attaquant, etc. D'ailleurs, les seules capacités pour se soigner se résument à des drains de vie – il n'y a pas de soin pur et dur – et se plient donc aux mêmes règles pour l'ordre d'action que le reste, ce qui peut parfois nous mettre en difficulté. Bien qu'entre chaque combat, la santé du personnage soit totalement restaurée, c'est un point clé pour gagner, étant donné que Wiktor est le seul à prendre tous les dégâts. Lorsqu'on sélectionne une action au combat, on a une prédiction des dégâts que l'on va subir pendant le tour, tout comme on peut visualiser les dégâts que l'on va infliger avec l'attaque sélectionnée. La barre de vie ou les points de concentration qui vont être endommagés clignotent pour le signaler. C'est très pratique, et c'est surtout indispensable pour optimiser les combats et calculer sa survie. Toutefois, cela n'est pas entièrement fiable car cela ne prend pas en compte certains éléments plus aléatoires comme les coups critiques. Le jeu possède une véritable dimension stratégique qui se développe au fil de l'aventure à mesure que la difficulté augmente. Toutefois, comme les adversaires sont tous à peu près les mêmes, une fois qu'on a trouvé une tactique efficace pour venir à bout des adversaires rapidement, on va souvent se contenter de celle-ci et répéter les mêmes actions. Utiliser des actions rapides est souvent plus pratique et plus sûr, cela permet également de pouvoir se soigner de temps en temps. On peut aussi avoir des préférences pour certains Salutors, bien que chacun soit vraiment unique et bien pensé. Enfin, lorsqu'on veut capturer un Salutor sauvage, on doit avant tout l'affronter. Bien que l'on puisse les considérer comme les principaux boss du jeu à vaincre, dans une atmosphère rouge assez pesante adaptée, mais très réussie, on ne peut attaquer le Salutor directement, on affronte à la place des ombres qu'ils représentent, dans des combats a priori identiques à tous les autres. La principale différence est que le démon applique des effets passifs à chaque tour, pouvant apporter des bonus à ses ombres ou des malus à Wiktor, plus ou moins handicapants. Un dernier point sur les combats. Ils sont plutôt rares, et il est possible de jouer sur de longues sessions sans en rencontrer un seul, mais les affrontements en eux-mêmes peuvent être assez longs, étant donné que chaque adversaire doit être vaincu individuellement. Si les combats peuvent sembler un peu difficiles au début, une fois qu'on a bien compris le système et les possibilités, et débloqué quelques améliorations et capacités supplémentaires, on peut facilement rouler sur la majorité d'entre eux. On notera toutefois l'un des boss final du jeu (pour l'une des fins du moins) notablement difficile, mais particulièrement bien pensé et remarquable. C'est un peu dommage que de telles mécaniques ne soient ajoutées qu'à la fin, mais c'est toutefois parfaitement cohérent du point de vue de l'histoire. Acta Fabula Est
Les différentes quêtes annexes proposées au cours du jeu sont pour la plupart de petites activités, permettant de découvrir la ville sous un autre jour, et toujours bien ancré dans le contexte historique. Mais bien loin de la chasse au mini-jeu, cela ne va permettre en réalité que d'obtenir un croquis représentant l'activité, accompagné d'une brève description. La plupart des quêtes secondaires sont donc une collection de souvenirs pour enrichir la toile de fond et en savoir plus sur l'Histoire de la ville. Toutes les informations découvertes, que ce soit les indices durant les quêtes, mais aussi les détails de chaque personnage rencontré, sont rassemblés dans des entrées du journal. Ils sont une mine d'information, aussi bien pour nous aider à accomplir les quêtes qu'à comprendre les contextes géopolitiques. Bien sûr, les entrées purement informatives, comme les descriptions des personnages, des factions ou des lieux visités, sont là pour satisfaire notre curiosité sans jamais se montrer indispensables, ce qui plaira donc aussi bien aux férus de lecture et d'Histoire qu'à ceux qui s'y intéressent moins. D'ailleurs, cela permet également à ceux qui n'y connaissent rien de pouvoir jouer au jeu sans avoir à ouvrir un livre d'histoire pour comprendre ce qu'il se passe. En dehors de certains grands événements mentionnés, il n'est jamais nécessaire d'en comprendre tous les tenants et aboutissants. Toute la partie du journal consacrée aux conclusions des enquêtes est néanmoins des plus utiles, car les suivis de quêtes ne sont souvent pas aussi détaillés et ne permettent pas forcément de savoir quoi faire. Les indices obtenus dans le cadre d'une quête sont triés et assez faciles d'accès, bien que la liste à rallonge demande à chaque fois d'être repliée pour retrouver la quête qui nous intéresse.
On peut suivre une quête à la fois, et lorsqu'on en choisit une, on peut généralement utiliser la perception, dans l'écran d'exploration, pour indiquer le chemin vers la prochaine étape. Toutefois, il est intéressant de noter que la perception nous indique souvent les étapes principales, qui sont donc résumées dans le suivi de quête, mais qu'elle ne précise pas forcément toutes les possibilités. Par exemple, après avoir accompli un objectif et obtenu une information cruciale, on a la possibilité de passer à la suite. Pourtant, si on retourne voir un personnage rencontré précédemment durant la quête pour lui faire part de ces nouvelles informations, l'issue de la quête peut changer du tout au tout, et ce alors même que le suivi de la quête ne l'indiquait pas. Le jeu et les histoires poussent donc à la recherche spontanée des joueurs, et c'est particulièrement appréciable et gratifiant pour le joueur qui aime ce genre d’options. Les quêtes et les histoires sont ponctuées de conversations, durant lesquelles il y a toujours plusieurs choix. Certains permettent de recueillir des informations sans faire progresser la discussion, de manière parfaitement classique comme on en a l'habitude dans d'autres RPG modernes. Certains choix sont verrouillés tant qu'on n'a pas trouvé l'indice correspondant. Il y a aussi des choix à la fois dépendants et influençant la fierté de Wiktor. Comme cela avait été indiqué au début de ce texte, il s'agit de l'une des rares caractéristiques importantes du personnage, bien que sa valeur soit cachée. Donner une réponse fière va l'alimenter et la faire grandir. En contrepartie, certaines réponses nécessitent d'avoir atteint un certain niveau de cette caractéristique pour pouvoir être choisies. De même, d'autres réponses peuvent se verrouiller au fil du jeu si le personnage est trop fier… Mais encore une fois, sans pouvoir consulter son niveau de fierté, il est difficile de prévoir les futures possibilités, ce qui peut être perturbant, et pourtant, cela rend le tout cohérent et plus réaliste. Il faut savoir que les réponses fières peuvent être assez directes, condescendantes, et souvent mener à un affrontement. Éviter ces réponses est donc un bon moyen de limiter les conflits, mais peut aussi fermer un certain nombre de portes au fur et à mesure. Au fond, le joueur est invité à répondre davantage selon son ressenti, sa propre ligne de conduite, ou plus spontanément, sans chercher à atteindre un objectif précis. Outre les choix de discussions susmentionnés, rappelons également que certains choix importants peuvent conduire à obtenir des Salutors supplémentaires, ou au contraire y renoncer à jamais au cours de la partie. Cela influencera également la façon de mener les combats, la fin de l'histoire selon certains choix. De manière générale, les décisions prises au cours de l'histoire peuvent conduire des alliés à devenir nos ennemis, mais aussi nos ennemis à devenir nos alliés. Le jeu dispose d'une énorme rejouabilité du point de vue scénaristique, en plus de proposer une très bonne durée de vie pour l'histoire principale, d'environ 40 heures, les joueurs friands de fins multiples seront servis. Toutefois, ce n'est pas un jeu où il suffit de recharger la partie avant le boss final pour tenter une autre option et découvrir une autre fin. Bien qu'effectivement, il peut y avoir des choix finaux décisifs, la plupart d'entre eux se construisent au fil des quêtes et dépendent de notre comportement. Il n'y a pas de bonne ou mauvaise fin, tout comme il n'y a pas de bon ou de mauvais choix ; les décisions et leurs conséquences ont un impact sur le joueur selon ses principes et sa moralité, mais aussi son niveau d'immersion. Il n'y a pas, à l'heure actuelle, de mode Nouvelle Partie +, ce qui oblige donc à recommencer de zéro pour voir d'autres fins. Le scénario est divisé en plusieurs actes, durant lesquels on suit un objectif précis. L'histoire progresse à mesure de nos découvertes ; Wiktor est pris en tenailles entre ses obligations envers sa sœur, l'héritage et le passé d'un père dont il n'a gardé que des mauvais souvenirs, le contexte historique révolutionnaire et les discriminations envers les classes sociales ou même envers les thaumaturges eux-mêmes. Les enquêtes sont bien pensées et laissent souvent diverses possibilités, sans pour autant être trop chronophages. Élégie d'une époqueThe Thaumaturge se déroule dans des environnements en 3D isométrique (en vue de 3/4), et en dehors du prologue, l'ensemble du jeu prend place dans différents quartiers de Varsovie. Chaque quartier comporte une zone plus ou moins grande à explorer, et il est possible de voyager d'un quartier à un autre en allant trouver une calèche ou un arrêt de tramway. Le choix du lieu se fait ensuite depuis la carte, il ne s'agit donc pas d'un monde ouvert. Certains quartiers et l'accès aux entrées de bâtiments sont débloqués au fil de l'aventure, pour les besoins du scénario. Seule une petite partie du plan total de la ville est explorable, mais chacun possède sa propre ambiance et atmosphère. Durant l'exploration, le temps est susceptible de passer, surtout pendant les discussions, mais on peut aussi faire avancer le temps à différents moments de la journée en s'asseyant sur un banc, ce qui permet éventuellement d'accéder à certains lieux ou événements inaccessibles autrement. Visuellement, les décors du jeu sont très détaillés, on peut compter les pavés de la rue, à tel point que cela semble photoréaliste. On peut d'ailleurs voir des panoramas de certains lieux-clés des quartiers visités, mais aussi des photos stéréoscopiques en noir et blanc de monuments architecturaux. On sent que le studio de développement a mis l'accent sur sa volonté de retranscrire la Varsovie de cette époque de manière réaliste. Bien sûr, il est plus difficile de savoir dans quelle mesure le jeu lui est fidèle sans l'avoir connue réellement, mais chacun appréciera selon son souci du détail. Le jeu possède une identité visuelle assez forte grâce à ses accentuations aux couleurs rouges dans les menus, pour les pouvoirs de Salutors et certains combats. Pour rester sur l'aspect visuel, toutefois, on ne peut pas en dire autant des visages qui sont peut-être le gros point négatif du jeu. Malheureusement, en dehors de Wiktor et Raspoutine, qui possèdent tous deux un charisme fou, et d'une poignée d'autres personnages principaux, la plupart des visages des personnes rencontrées durant les quêtes peinent à convaincre, restent assez peu expressifs, voire assez similaires entre eux. Et comme on passe le plus clair de notre temps dans des conversations, cela peut difficilement passer inaperçu. Cela dit, on s'habitue malgré tout à ce défaut, d'autant plus que le reste parvient à compenser pour nous immerger complètement dans l'histoire. Le jeu est intégralement doublé en anglais et en polonais, et les textes sont traduits en français. Le français est de bonne qualité, bien qu'on puisse remarquer quelques erreurs grammaticales ou d'inattention, mais compte tenu de la quantité de texte, c'est plutôt rare. En revanche, les doublages anglais sont irréprochables. Le multilinguisme de la ville de Varsovie est magnifiquement retranscrit ; les personnages peuvent parler occasionnellement en polonais, en russe, en français, en espagnol ou en allemand. Les intonations et les prononciations sont excellentes et nous permettent une vraie immersion dans cet univers historique. Les noms de lieux et autres éléments scénaristiques possèdent des noms polonais, qui peuvent représenter une certaine difficulté due à la barrière de la langue, ne serait-ce que pour s'orienter, mais on peut facilement outrepasser cela grâce aux indices visuels du jeu.
Du point de vue de l'ambiance sonore, le jeu se démarque par la quasi absence de musique d'ambiance pendant une majeure partie de l'exploration (lorsque celle-ci n'implique pas d'événement de quête)… mais pas de fond sonore, tout au contraire. En effet, en ville, on entend tous les sons habituels d'un milieu urbain, voix, clameurs, bruits de pas, de travaux, les chevaux tirant les calèches, la cloche du tramway. On ne s'ennuie pas, on a l'impression d'y être. Et lorsqu'on passe à côté d'un musicien de rue, ou bien de certains bâtiments, on profite également de leur musique. Violon, accordéon, piano, orgue de barbarie, vielle à roue… On entend toutes sortes d'instruments typiques, et on peut se surprendre à rester pour écouter le morceau jusqu'au bout ! D'ailleurs, dans le jeu, on trouve parfois aussi des enregistrements de gramophone (disques vinyles) d'extraits de musique classique, que l'on peut réécouter ensuite depuis le menu. L'ambiance, le style graphique, le côté historique du jeu et sa musique ne sont d'ailleurs pas sans rappeler un certain Vampyr (Dontnod, 2018) qui se déroulait à Londres quelques années plus tard, et dont le point fort résidait justement dans son atmosphère.
Note attribuée : 17/20
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